Les solutions pour enrayer le braconnage des rhinocéros

En 2010, le Rhino Rescue Project (http://rhinorescueproject.org/) a lancé un programme pour protéger les rhinocéros qui repose sur une technique d’empoisonnement de la corne. La procédure consiste à y injecter un liquide composé d’un colorant indélébile rose et d’un antiparasitaire puissant visant à rendre impropre la corne à la consommation. La réserve communique publiquement ensuite sur cet empoisonnement pour décourager les braconniers. La réserve du Sabi Sand attenante au Kruger notamment a appliqué cette technique sur une centaine de ses pachydermes. Des doutes ont été émis sur ce procédé, car les braconniers pourraient tout simplement chercher à blanchir la poudre pour la vendre. Néanmoins, les résultats semblent prometteurs puisque, selon le Rhino Rescue Project, seulement 2 % des 230 rhinocéros à la corne empoisonnée ont été braconnés.

L’ONG Protect impliquée dans la défense des animaux a inventé un dispositif nommé RAPID (Real-time Anti Poaching Intelligence Device) pour lutter contre le braconnage. Ce dispositif mesure en permanence les battements de cœur du rhinocéros. Si les pulsations augmentent très rapidement ou si elles cessent brutalement, un signal est envoyé vers un satellite qui prévient une équipe de surveillance qui active alors une caméra insérée dans la corne de l’animal afin d’observer la scène. Si l’attaque de braconniers est avérée, les forces armées peuvent se rendre sur place rapidement grâce aux coordonnées GPS communiqués par le dispositif. Cette technologie doit encore être améliorée (la recharge des batteries par énergie solaire ou cinétique est encore à l’étude) et les impacts sur le comportement de l’animal encore examinés.

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Rrhinocéros noir (©Matthieu Gallet)

Dans un passage de son ouvrage Biomimétisme intitulé Des cornes pour le malheur des rhinocéros, Janine M. Benyus présente les travaux d’une équipe de deux chercheurs, Joe Daniel et Ann Van Orden. Ces deux chercheurs s’appuient sur le principe du biomimétisme, pour proposer la fabrication d’un fac-similé de corne : « Inonder le marché de cette corne, la définir comme un fac-similé et espérer amener les autres cultures à l’accepter est peut-être notre seule option. Ou plutôt, la seule option du rhinocéros ». A ce jour cette équipe n’a pas reçu de financement pour avancer sur ce projet, mais la startup américaine Pembient (http://signup.pembient.com/) qui opère dans le domaine de la bio-ingénierie œuvre également depuis quelques années dans ce sens. En mixant de la kératine (principale composant de la corne) et de l’ADN de rhinocéros, ils produisent une poudre qui est ensuite imprimée en 3D sous la forme d’une corne. Pembient promet une corne artificielle plus pure que l’original et au huitième de son prix. Si la tentative est noble, elle n’est cependant pas exempte de danger, puisqu’il est possible que le fait d’augmenter l’offre et diminuer les prix aboutisse finalement à une augmentation incontrôlée de la demande. Ce genre d’initiative scientifique peut aussi laisser penser que la corne a réellement une valeur médicinale ce qui va à contre-sens du message éducatif qu’il faudrait promouvoir. Par ailleurs, il est très probable qu’une riche minorité cherchera toujours à se procurer de la véritable corne pure et non un produit de synthèse. Enfin, des tentatives similaires pour protéger d’autres espèces ont déjà eu lieu. Par exemple, la création de substitut à la bile d’ours très prisée en Asie n’a amélioré le sort des ours que de façon insignifiante.

En mai 2016, un tribunal de Bloemfontein a levé le moratoire sur la vente en Afrique du Sud de corne de rhinocéros en vigueur depuis 2009. Cette décision fait suite aux demandes d’éleveurs (regroupés notamment au sein du Private Rhino Owners Association) qui estimaient que l’interdiction de la vente n’avait fait que renforcer le braconnage. Ces associations vont aujourd’hui plus loin en demandant la levée du moratoire sur la vente de corne de rhinocéros imposé au niveau international depuis 1977 par la Convention Internationale sur le Commerce des Espèces Menacées. Selon les partisans de ce commerce, il suffirait de satisfaire la demande en organisant l’offre commerciale et en alimentant la demande par la découpe des cornes de leurs animaux vivants (6 200 rhinocéros sont élevés dans 330 réserves privées) ou de celle des animaux morts de cause naturelle. Cette régulation du marché aurait pour effet de faire baisser drastiquement le prix des cornes et ainsi rendre le braconnage moins attractif car moins lucratif. Ils argumentent que le moratoire n’a en rien été bénéfique puisque depuis 1977 plus de 100 000 rhinocéros ont été braconnés et que près de 23 pays africains ont perdu toute leur population de rhinocéros. Les opposants à la levée du moratoire craignent que la légalisation du commerce aboutisse à l’augmentation de la demande et mécaniquement du braconnage.

Et le pangolin dans tout ça ?

Parce qu’ils sont beaux et majestueux, les médias et les ONG attirent prioritairement notre attention sur des animaux emblématiques comme le rhinocéros. Mais d’autres animaux meurent en silence victime du braconnage. C’est le cas notamment du pangolin, un fourmilier écailleux, qui est aujourd’hui le mammifère le plus menacé au monde par le braconnage. Le commerce de cet animal est interdit depuis 2000, mais sa viande et les supposées vertus médicinales de ses écailles en font un produit recherché. L’Union International de la Conservation de la Nature estime que les espèces de pangolins africains sont vulnérables à l’état sauvage. Ce n’est que fin septembre 2016 que la Convention Internationale sur le Commerce des Espèces Menacées a inscrit les pangolins à l’annexe I qui interdit le commerce des espèces menacées. Mais pour cet animal, il ne faut s’attendre à aucune débauche de moyen ou d’inventivité pour le sauver. Son tort ? Etre beaucoup moins beau et charismatique que les gros mammifères. Pourtant, son rôle dans la nature est primordial. Sa disparition empêchera la bonne régulation du nombre de fourmis et des termites et aboutira à une modification en profondeur des écosystèmes où il habite.

Pangolin digging for ants.

Pangolin de Temminck (©Matthieu Gallet)

Le parti-pris de mettre en priorité les moyens sur la sauvegarde des espèces emblématiques les plus scrutées par le public sera probablement néfaste à long terme. Des espèces moins médiatisées, telles que les vautours et les pangolins évoqués ici, méritent tout autant notre attention et une aide importante pour le rôle primordial de régulateur qu’elles jouent dans la nature. C’est donc plus pour une stratégie de lutte globale contre le braconnage qu’il faudrait œuvrer et non pour la lutte contre le braconnage de telle ou telle espèce. Si certaines techniques décrites plus haut semblent prometteuses, elles ont notamment le gros inconvénient de dénaturer la nature pour la sauver. La lutte au sol et par des moyens aériens reste la solution la plus efficace à ce jour et elle doit permettre de débusquer tous les types de braconniers quelle que soit la nature de leur proie. Mais plutôt que de porter tous les moyens sur la lutte contre les symptômes du braconnage ne serait-il pas plus pertinent de chercher avec autant d’énergie à régler le problème à la source en changeant le comportement des consommateurs et des braconniers ? C’est probablement l’éducation des populations, par la connaissance de l’inefficacité de ces remèdes et du rôle précieux de ces espèces dans la nature, qui constituerait la solution la plus efficace. Mais attaquer le mal à la racine prendra du temps et ces animaux en manquent cruellement.

 

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