par Marion Douchin (IGE 2018)

Alors que la COP24 vient de s’achever en Pologne, avec un bilan mitigé, le secrétariat de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques a annoncé que la prochaine conférence des parties se tiendrait au Chili en 2019, après le retrait de la candidature du Brésil, à l’origine pressenti pour accueillir la COP25. Cette volte-face n’est pas surprenante de la part du nouveau président brésilien d’extrême-droite et climatosceptique. Élu le 28 octobre dernier pour quatre ans sur la base d’un programme ultralibéral, Jair Bolsonaro avait annoncé la couleur en matière d’environnement pendant sa campagne électorale. Ses multiples déclarations visant directement l’Amazonie n’augurent rien de bon pour l’avenir de la première forêt tropicale humide du monde, déjà malmenée, et dont les deux tiers sont situés au Brésil.

Une écorégion « mégadiverse », soumise à de multiples pressions

L’Amazonie est une vaste région de 7,8 millions de km2, qui se répartit sur huit pays d’Amérique du Sud : le Brésil, la Bolivie, le Pérou, l’Équateur, la Colombie, le Venezuela, la Guyana, le Suriname, et la Guyane française, dont 80% sont des terres boisées. Elle est traversée par le fleuve le plus important du monde en débit et le deuxième en longueur, l’Amazone. Véritable réservoir de biodiversité, l’Amazonie abrite des centaines de milliers d’espèces, dont une majorité est encore inconnue et/ou non répertoriée. Entre 1999 et 2015, pas moins de 2 200 nouvelles espèces de plantes et de vertébrés ont ainsi été découvertes.

L’importance de l’écosystème amazonien s’étend bien au-delà de ses limites. En plus d’apporter les ressources essentielles (eau douce, aliments, énergie, bois…) aux quelques 30 millions de personnes vivant sur ses terres, l’Amazonie joue un rôle essentiel dans la régulation du climat mondial, en tant que puits de carbone, ce qui lui vaut son surnom de « poumon vert de la planète ».

Ce patrimoine naturel exceptionnel est cependant soumis à de multiples pressions humaines, qui menacent l’état de la forêt et les multiples services écosystémiques qu’elle fournit. Près de 18% de la forêt amazonienne a déjà été détruite depuis l’arrivée des premiers colons au début des années 70. Les activités agricoles, pour la plupart des monocultures de grande échelle telles que le soja et de l’élevage de bétail, constituent la première cause de déboisement. L’élevage est à lui seul responsable d’environ 70% de la déforestation. La construction d’infrastructures énergétiques et de transport, les activités extractives (or et autres ressources minérales précieuses) ainsi que l’exploitation illégale du bois affectent également le massif forestier, même si dans des proportions moindres.  

Le WWF recensait dans son rapport intitulé « Living Amazon Report » publié en 2016 plus de 250 projets de construction de barrages hydroélectriques menaçant de dégrader l’hydrologie et l’écologie des écosystèmes d’eau douce et plus de 20 projets de construction de routes qui devraient offrir de nouvelles voies d’accès susceptibles de déboucher sur de futurs « fronts de déforestation », surtout quand on sait que 95% de la déforestation se produit à moins de 5,5 km d’une route.

Une recrudescence de la déforestation observée depuis 2015…

Entre 2004 et 2012, certaines mesures initiées par l’ancien président Lula, comme la création de parcs et d’aires protégés, une application plus stricte de la législation environnementale ou la collaboration avec certains peuples autochtones pour assurer le contrôle de la forêt, ont permis d’infléchir le rythme de la déforestation.

Celle-ci est cependant repartie à la hausse ces dernières années, enregistrant une croissance de 29% en 2016. Cette évolution s’explique par la double crise politique et économique que traverse le Brésil depuis 2015, qui s’est traduite par le retour des conservateurs au pouvoir et une priorité accordée au rétablissement de la croissance économique, reléguant au second plan les préoccupations environnementales. Par ailleurs, la forte demande mondiale en ressources naturelles et agricoles, tirée par les pays asiatiques, sont autant d’opportunités économiques pour le pays et d’incitations au déploiement et à l’extension de projets productifs, au détriment du massif forestier.

Face au dilemme entre développement économique et protection de la forêt, les gouvernements successifs et les milieux politiques et économiques influents du Brésil, notamment l’agrobusiness, ont de manière générale poursuivi une logique d’exploitation plus ou moins raisonnée. La législation environnementale, bien souvent perçue comme une entrave à la croissance, est ainsi régulièrement bafouée pour permettre aux projets productifs de voir le jour, non sans créer des résistances aux niveaux local et international. A titre d’exemple, le projet controversé de construction du barrage de Belo Monte sur le fleuve Xingu dans l’État du Para, qui pourrait devenir le 3e plus grand barrage au monde, fait l’objet de vives contestations pour ses impacts environnementaux et humains.

… qui risque de s’aggraver avec l’arrivée au pouvoir du nouveau président d’extrême droite

C’est dans ce décor déjà peu enthousiasmant que le nouveau président élu du Brésil, Jair Bolsonaro, entend prendre un virage plus radical en faveur d’intérêts économiques privés, aux dépens de l’environnement et en particulier de la forêt amazonienne. Soutenu par les élus de sa formation politique, le Parti social-libéral (PSL), devenu le deuxième groupe politique de la Chambre des députés à l’issue des élections législatives du 7 octobre dernier, et par les élus dits « ruralistes », représentants de l’agrobusiness au Parlement, les différentes mesures du programme de Jair Bolsonaro, si elles sont effectivement mises en œuvre, risquent d’accélérer la dégradation de l’environnement, en particulier de l’Amazonie, essentiellement appréhendée dans une logique d’exploitation.

Jair Bolsonaro a ainsi promis d’ouvrir des zones forestières supplémentaires à l’agrobusiness et à l’extraction minière, au détriment des peuples autochtones dont les réserves représentent une des meilleures protections contre la déforestation. Il souhaite en parallèle assouplir la législation afin de faciliter et réduire les délais d’obtention des licences environnementales. Il entend en effet réduire drastiquement le pouvoir des grandes agences publiques environnementales, telles que l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (Ibama) qui délivre les permis miniers et forestiers.

Par ailleurs, même si le nouveau président a finalement renoncé à sa volonté initiale de fusionner les ministères de l’agriculture et de l’environnement, il semble peu probable que le ou la futur(e) responsable héritant du ministère de l’environnement puisse faire le poids face à la nouvelle ministre de l’agriculture récemment élue, Tereza Cristina da Costa, actuelle responsable du lobby de l’agrobusiness de la Chambre des députés.

Plus largement, Jair Bolsonaro, surnommé le « Trump tropical », a menacé de sortir de l’Accord de Paris sur le climat si des initiatives, notamment régionales ou internationales, pouvant compromettre la souveraineté du Brésil sur la forêt amazonienne voyaient le jour, avec dans le viseur le projet triple A qui prévoit l’instauration d’un corridor de parcs naturels et de réserves indiennes des Andes à l’océan Atlantique en passant par l’Amazonie. En tant que pays producteur de pétrole, qui compte parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, et détenteur de près de 30% des forêts tropicales dans le monde, le retrait du Brésil aurait des conséquences néfastes sur les efforts internationaux dans la lutte contre le réchauffement climatique.

La mise en place de modalités de gestion de l’Amazonie à une échelle dépassant les logiques nationales, censées permettre une utilisation durable de ses ressources, n’est donc pas pour demain. Pourtant, au pays où l’on tue le plus de défenseurs de l’environnement au monde, il n’y a guère plus que la pression internationale, par le biais de restrictions commerciales notamment, à pouvoir encore contrebalancer les ardeurs du nouveau président brésilien.

Références :

  • Ressources du WWF : rapport « Living Amazon Report 2016 : a regional approach to conservation in the Amazon » ; page spéciale sur l’Amazonie sur le site du WWF : https://www.wwf.fr/espaces-prioritaires/amazonie
  • Courrier International n°1455, « Amazonie, le labo du futur », 20 septembre 2018 
  • Chronique de Pierre Haski, France Inter, « Au Brésil, l’environnement sera la première victime d’une présidence d’extrême droite », 19 octobre 2018
  • Le Monde, « Élections au Brésil : le bulldozer comme programme écologique pour Jair Bolsonaro », 27 octobre 2018
  • Bastamag, « l’Amazonie, convoitée par l’agrobusiness et l’industrie minière, en danger imminent avec l’élection de Bolsonaro », 30 octobre 2018
  • Actu-environnement, « Le poumon vert de la planète menacé par l’élection du nouveau président au Brésil », 8 novembre 2018

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