Par Axel Degiorgis (IGE 2018)

 

Le développement des stations de sports d’hiver commence son ascension dans les années 1960 impulsé par le « Plan neige », lancé par l’Etat en 1964 durant les « Trente Glorieuses » afin de promouvoir la démocratisation touristique hivernale. L’objectif de ce plan était de construire des équipements et des logements adaptés au tourisme hivernal de masse. Au total, 150 000 lits furent réalisés entre 1971 et 1975 sur les 350 000 initialement prévus [1]. C’est à cette époque que des stations de haute montagne comme La Plagne, les Arcs ou Tignes ont été construites, toute sur le même schéma ex nihilo.

Dans leur sillage, de nombreuses stations de moyenne montagne ont vu le jour, jusque dans les années 1980. Ces dernières sont apparues dans le paysage de manière plus diffuse et avec des formes d’aménagement variées et se sont révélées plus exposées à la variabilité naturelle de l’enneigement[2]. Cependant, c’est également à la fin des années 80 que naissent les premiers doutes quant à la rentabilité économique et à la longévité de ces stations notamment lors de saisons à faible enneigement et devant une stagnation du nombre de skieurs, laissant les trésoreries de certaines stations sinistrées[3].

 

 

Un enneigement de plus en plus incertain avec

le changement climatique

Les conditions d’enneigement dans les stations d’altitudes apparaissent de plus en plus incertaines au fil des années et sous l’effet du changement climatique. Ainsi la communauté scientifique se veut prévenante sur les conséquences que cela va engendrer sur les stations de ski. Dans un rapport de 2007 [4], l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change) montre que la limite de fiabilité de l’enneigement naturel augmente de 150 mètres par degré Celsius gagné à cause de changement climatique.

Une équipe de chercheurs suisses a étudié l’impact probable qu’aurait un réchauffement de 4° sur la couverture neigeuse. Une hausse des températures de 4° d’ici 2100 figure parmi les scénarios les plus pessimistes présentés par le GIEC. Un tel scénario est néanmoins loin d’être irréaliste : sa probabilité d’occurrence est estimée à 20 % par la Banque mondiale dans son rapport « Turn down the heat »[5]. Cette étude suisse conclut que ce réchauffement entraînerait une diminution du volume de la neige dans les Alpes de 90 % à 1000 mètres d’altitude, de 50 % à 2000 mètre d’altitude et de 35 % à 3000 mètres. De plus, la durée d’enneigement serait elle aussi touchée : elle se terminerait 50 à 60 jours plus tôt dans la saison pour les stations de haute altitude (2000-2500 mètres) et 100 à 130 jours plus tôt pour des stations plus basses (situées dans les altitudes avoisinant les 1000 mètres[6]).

Le réchauffement climatique est donc une grande menace pour les stations de ski et pour les économies régionales qui dépendent du tourisme d’hiver. Un Rapport de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) de 2007 affirme que « Les Alpes sont particulièrement sensibles aux changements climatiques et le réchauffement récent y a été près de trois fois supérieur à la moyenne mondiale ». Actuellement, 90% des domaines skiables alpins de moyenne ou grande taille, soit 599 domaines sur 666, bénéficient d’un enneigement naturel suffisant (30cm de neige) pendant au moins 100 jours par an[7]. Mais les 10% des domaines restants connaissent d’ores et déjà des conditions précaires, et il suffirait, selon l’OCDE, d’« une hausse de la température de 1°C, de 2°C ou de 4°C pour ramener le nombre de domaines skiables jouissant d’un enneigement fiable à 500, 400 ou 200 respectivement» [8]. Sachant qu’entre 1880 et 2012, les températures moyennes dans les Alpes ont déjà augmenté de plus de 2°C [9], les stations de skis peuvent avoir du souci à se faire.

Cependant, toutes les stations ne sont pas égales face au réchauffement climatique et certaines sont mieux loties que d’autres. La situation est d’autant plus catastrophique que les stations sont à faible altitude. Une étude de Météo France montre l’évolution des hauteurs de neige et des températures pour la station de basse altitude du Col de Portes (1325m). Cette étude montre pour le massif de la Chartreuse (Isère) un réchauffement de 1,3°C en 50 ans ainsi qu’une diminution significative de l’enneigement naturel malgré une forte variabilité.

Ces projections illustrent les défis auxquels doivent faire face les domaines skiables implantés à moins de 1700 mètres d’altitude, ce qui correspond à la totalité du domaine skiable de l’Ain et de la Drôme, à 85% des stations de Haute-Savoie, 72% des stations d’Isère et 28% des stations de Savoie [10].

Face au réchauffement climatique et à la réduction des durées d’enneigement, quelles peuvent donc être les alternatives pour les stations de ski ?

 

La neige artificielle un fléau pour l’environnement !

Pour répondre au manque de neige et à la pression économique, beaucoup de stations investissent dans la neige de culture. Cette solution « miracle » est aujourd’hui très discutable et discutée. En effet, la construction et l’utilisation des canons à neige posent beaucoup de problèmes d’un point de vue éthique et environnemental.

Tout d’abord, les canons à neige mobilisent de très importantes ressources en eau. Il faut 1m3 d’eau pour fabriquer 2m3 de neige. Pour avoir un hectare de neige artificielle sur une épaisseur de 60 cm, il faut donc mobiliser 4000 m3 d’eau par an. En comparaison, ces volumes sont plus de 2 fois supérieurs au ratio d’irrigation du maïs, une des cultures les plus exigeantes en eau (avec un ratio de 1700 m3/ha). Durant l’hiver 2003-2004, 12 millions de mètres cube ont été utilisés pour la production de neige artificielle (ce chiffre est passé à 19 millions en 2016) : 55% provenait des réserves collinaires, 30 % des cours d’eau et 15 % du réseau d’eau potable [11]. Ces estimations devraient encore augmenter, plus de 40 % des pistes devraient être équipées de canons à neige en 2020 contre 30% aujourd’hui[12]. Il se pose donc des questions d’approvisionnement en eau pour les années à venir, l’accumulation de neige de culture pouvant entrainer l’appauvrissement des cours d’eau. Un conflit hydrique avec les villages voisins et des questions éthiques quant à l’utilisation de l’eau potable pour fabriquer de la neige artificielle pourrait également survenir, surtout dans des contextes qui vont se tendre dès les prochaines années face au réchauffement climatique.
Pour éviter ces conflits autour de la ressource en eau, les constructions de « retenues collinaires » se multiplient, mais ces dernières ont aussi des conséquences pour l’environnement. En effet, les écosystèmes de montagne sont à la fois riches, mais aussi fragiles du fait de leur très lente dynamique. Les retenues d’altitude induisent des impacts importants sur ces milieux au moment de la construction et de l’exploitation de ces ouvrages. Un tiers des retenues d’eau a par exemple été construit sur des zones humides, or ces zones humides ont une valeur patrimoniale forte, elles abritent de nombreuses espèces endémiques et ont également un rôle majeur dans le fonctionnement des écosystèmes. Sans compter les kilomètres de sol détruits pour enfouir les canalisations et les conséquences que cela implique sur les biotopes. En plus des problèmes environnementaux, une retenue sur deux présenterait un danger pour l’homme ainsi que pour les infrastructures situées en aval. Cela est dû à leur position dominante au-dessus des installations et aux fortes pentes des versants susceptibles de générer des phénomènes torrentiels [13].

Ces installations sont aussi très gourmandes en énergie : 10 000 canons à neige consomment 108 millions de kWh, soit la consommation annuelle de 13 300 foyers français (une station comme l’Alpe d’Huez possède plus de 800 canons à neige). De plus, cette forte consommation énergétique intervient pendant une période où la demande est déjà forte et peut donc concurrencer directement l’approvisionnement des foyers [14].

Outre le désastre écologique, ces projets d’enneigement artificiel sont un gouffre financier pour les petites stations qui essayent de concurrencer les plus grandes. Cependant, les canons à neige demeurent la solution miracle qui va permettre que « l’impact du réchauffement climatique soit quasi nul jusqu’en 2050 » [15]. Mais quel avenir pour l’après 2050 ?

 

Les stations dômes, un autre fléau ?

Une autre alternative pour faire perdurer la pratique du ski dans un contexte de réchauffement climatique est le « ski-dôme », ou en d’autres termes, skier dans un hangar.

Ces installations existent déjà un peu partout dans le monde notamment dans des pays chauds, comme les Emirats arabes Unis ou la Nouvelle-Zélande, ou bien dans des pays dépourvus de montagnes comme les Pays-Bas qui possèdent 6 installations de ce genre [16]. Le site skiresort.fr comptabilise aujourd’hui 25 ski-dômes en Europe, 97 dans le monde ainsi que de nombreux projets en cours de construction[17]. Malheureusement faire perdurer la pratique du ski de façon irréfléchie et contre-nature a des conséquences sur cette dernière. Outre les conséquences de l’utilisation des canons à neige déjà vues dans le paragraphe précédent (qui seront bien sûr utilisés en masse pour produire la neige sous les hangars), il est à noter l’énorme consommation énergétique qu’il va falloir pour maintenir une température de -2°C dans les hangars. Effectivement cette consommation énergétique dépendra fortement de la température extérieure, et son impact dépendra quant à lui de la façon dont l’énergie sera produite. Mais il est sûr que tout cela aura d’une manière ou d’une autre un fort coût pour l’environnement.

En France, il est possible de pratiquer le ski-dôme au Snowhall d’Amnéville en Lorraine et il sera peut-être possible de le pratiquer à Tignes, au pied du glacier de la Grande Motte, à 3650 mètres d’altitude si le projet « ski line » voit le jour.

Effectivement la création de ski-dôme semble maintenant avoir dépassé les frontières des pays chauds ou dépourvus de montagnes enneigées, car même les stations de skis et les pays nordiques s’y mettent. Mais face au réchauffement climatique et à la pression économique qui s’abat sur les stations, quelles pourraient être leurs alternatives pérennes ?

 

Quelles autres alternatives ?

Il convient maintenant de s’interroger sur un avenir pérenne et éco-responsable pour le tourisme dans les stations d’hiver. Elles pourraient s’engager dans des activités plus durables comme les raquettes qui nécessitent peu d’investissements matériels. Il faudrait aussi que les stations s’adaptent au changement climatique, et qu’au lieu de voir une diminution de l’hiver, on voit un prolongement de la période estivale et une opportunité de développer un tourisme de proximité avec des activités de découverte de la faune et de la flore et du patrimoine local [18]. Pour les amoureux de ski, ne vous inquiétez pas, les stations de hautes altitudes devraient vivre encore quelques années…

 

[1] Daniel Gilbert et Philippe Viguier. Plan Neige. Géoconfluences.

[2] Emmanuelle George. Verra-t-on la fin du ski dès 2050 ? The Conversation, Mars 2019

[3] Daniel Gilbert et Philippe Viguier. La Compagnie des Alpes : développement, stratégie et internationalisation d’un acteur majeur du tourisme et des loisirs en France. Géoconfluences, mars 2018. Géoconfluences, Mars 2018

[4] Inter Panel on Climate Change. Fourth Assessment Report – contribution of working group I – summary for policymakers – “The physical science basis”. Genève 2007

[5] Philippe Collet. Climat : la Banque mondiale décrit une planète à +4°C. Actu Environnement, Novembre 2012

[6] M. Benistan, F. Keller, B. Koffi, S. Goyette. Estimates of snow accumulation and volume in the Swiss Alps under changing climatic conditions. Theoretical and Applied Climatology, vol. 76, n° 3-4, pp 125-140, Décembre 2003

[7] La viabilité économique de l’exploitation d’un domaine skiable est de 100 jours par ans

[8] Organisation for Economic Co-operation and Development. Climate Change in the European Alps: Adapting Winter Tourism and Natural Hazards Management. 2007

[9] Rapport de la Cour des Comptes. Les stations de ski des Alpes du nord face au réchauffement climatique : une vulnérabilité croissante, le besoin d’un nouveau modèle de développement. Février 2018

[10] Rapport de la Cour des Comptes. Les stations de ski des Alpes du nord face au réchauffement climatique : une vulnérabilité croissante, le besoin d’un nouveau modèle de développement. Février 2018

[11] Mountain Wilderness. Enneigement artificiel, Eau secours. 2005

[12] Marc Laimé. Dans les Alpes, la neige artificielle menace l’eau potable. Le Monde Diplomatique, Janvier 2019

[13] André Evette, Laurent Peyras, Hugues François et Stéphanie Gaucherand. Risques et impacts environnementaux des retenues d’altitude pour la production de neige de culture dans un contexte de changement climatique. Revue de géographie alpine, vol.99 n°3, 2011

[14] Christine Arnault. Réchauffement climatique : quel avenir pour les stations de ski ariégeoises ? La France insoumise Groupe d’Action Ariégeois, Janvier 2019

[15] Marc Laimé. Dans les Alpes, la neige artificielle menace l’eau potable. Le Monde Diplomatique, Janvier 2019

[16] Robin Benatti, 10 pistes de ski indoor dans le monde. L’express Tendances, Janvier 2017

[17] https://www.skiresort.fr/ski-domes/

[18] Christine Arnault. Réchauffement climatique : quel avenir pour les stations de ski ariégeoises ? La France insoumise Groupe d’Action Ariégeois, Janvier 2019

 

Références

Daniel Gilbert et Philippe Viguier. Plan Neige. Géoconfluences.

Emmanuelle George. Verra-t-on la fin du ski dès 2050 ? The Conversation, Mars 2019

Daniel Gilbert et Philippe Viguier. La Compagnie des Alpes : développement, stratégie et internationalisation d’un acteur majeur du tourisme et des loisirs en France. Géoconfluences, mars 2018. Géoconfluences, Mars 2018

Inter Panel on Climate Change. Fourth Assessment Report – contribution of working group I – summary for policymakers – “The physical science basis”. Genève 2007

Philippe Collet. Climat : la Banque mondiale décrit une planète à +4°C. Actu Environnement, Novembre 2012

Benistan, F. Keller, B. Koffi, S. Goyette. Estimates of snow accumulation and volume in the Swiss Alps under changing climatic conditions. Theoretical and Applied Climatology, vol. 76, n° 3-4, pp 125-140, Décembre 2003

Organisation for Economic Co-operation and Development. Climate Change in the European Alps: Adapting Winter Tourism and Natural Hazards Management. 2007

Rapport de la Cour des Comptes. Les stations de ski des Alpes du nord face au réchauffement climatique : une vulnérabilité croissante, le besoin d’un nouveau modèle de développement. Février 2018

Mountain Wilderness. Enneigement artificiel, Eau secours. 2005

Marc Laimé. Dans les Alpes, la neige artificielle menace l’eau potable. Le Monde Diplomatique, Janvier 2019                                 

André Evette, Laurent Peyras, Hugues François et Stéphanie Gaucherand. Risques et impacts environnementaux des retenues d’altitude pour la production de neige de culture dans un contexte de changement climatique. Revue de géographie alpine, vol.99 n°3, 2011

Christine Arnault. Réchauffement climatique : quel avenir pour les stations de ski ariégeoises ? La France insoumise Groupe d’Action Ariégeois, Janvier 2019

Robin Benatti, 10 pistes de ski indoor dans le monde. L’express Tendances, Janvier 2017

https://www.skiresort.fr/ski-domes/

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